Comment réussir une bonne émission de service public ?
Le marketing politique a eu raison de vous et ce slogan, aussi creux qu’il ne sonne faux, a fini par trouver un écho en votre for intérieur. Oui, vous en êtes convaincus, « Le changement, c’est maintenant ! ». En effet, votre costard d’assistant expert comptable commence à vous paraître étriqué et vous avez grillé toutes vos chances avec Elodie, la jeune chagasse de l’accueil, lorsque vous lui avez lancé accidentellement une agrafeuse au visage, alors que vous visiez Bernard, le syndicaliste lubrique qui pue de la gueule et qui passe ses journées à tapisser les parois vitrées de votre bureau d’autocollants « Front de Gauche ». Le cœur n’y est plus et puis dans le fond, avec un œil en moins, elle est quand même moins sexy la petite Elo. Vous méritez mieux que de finir dans un pavillon à Bry-Sur-Marne avec Albator : il est temps de rebondir !
Bref, vous cherchez un job à votre mesure, et l’idée de devenir directeur des programmes d’une chaine de télé du Service Public vous traverse soudain l’esprit. Après tout, Pierre Sled a bien dirigé France 3, c’est que ça ne doit pas être si compliqué.
Votre objectif : être prêt pour 2015, échéance à laquelle un nouveau président sera désigné pour diriger aux destinées de la télévision publique.
Voici donc quelques conseils distillés avec bienveillance pour vous aider à mener à bien votre candidature.
I – Le téléspectateur n’aime pas le changement
Vous avez plein d’idées et vous vous dites qu’il est temps de dépoussiérer ces grilles des programmes moisies. On ne va quand même pas se taper des reportages sur la pêche au mérou tous les vendredis soirs dans Thalassa jusqu’en 2050… Et puis vous imaginez bien Laurent Romejko présenter la météo avec une crête de keu-pon sur un fond sonore signé Marylin Manson. Oui, mais voilà, vous faites fausse route, jeune Padawan(adoo).
Le téléspectateur n’aime pas le changement. Il a besoin de repères. Il sait qu’à 20 heures, Pujadas viendra lire son prompteur avec son casque vissé sur la tête. Il sait que Nathalie Rihouet lui annoncera ensuite le temps qu’il a fait quelques heures plus tôt. Il sait qu’après Louis la Brocante il mettra une petite pétée à la Monique. Il sait qu’il peut enchaîner les perlouses sereinement le dimanche matin sur son canapé, en matant Petirenaud, parce que maman est à la cuisine en train de préparer la tête de veau farcie dominicale.
La mission d’un directeur des programmes sur le service public est donc de faire croire que les choses bougent, alors que seuls les cheveux des présentateurs blanchissent. On appelle ça le changement dans l’immobilisme : les cinq points suivants sont aussi profondément gravés dans la roche que « S.N.I.P.E.R » ne l’est sur les vitres du RER.
- France 2 doit rester la chaîne des chômeurs et des femmes et hommes au foyer (Motus, Les Z’amours, Stéphane Bern…)
- France 3, la chaîne des vieux (JT régional, Derrick, Des Chiffres et des Lettres, QPUC, Thalassa)
- France 4, la chaîne des jeunes giscardiens de 40 ans
- France 5 la chaîne des profs d’histoire-géo ou de SVT qui ont la flemme de préparer leurs cours (hop, on enregistre le reportage sur l’ablation d’un pénis dans le Magazine de la Santé).
- France Ô : La chaine invisible sensée mettre en avant les « minorités visibles » (ndlr : j’adore cette expression).
Pour le méchu à grosses lunettes qui porte un pull rose sur les épaules et qui lève le doigt au premier rang : oui, c’est bien cela que l’on appelle le « positionnement » en mercatique. Mais s’il te plait, barre toi.
Poursuivons. Il ne faut pas oublier que vous êtes sur le Service Public : vous n’avez donc pas de thunes. Alors autant dire qu’il est aussi peu probable de concrétiser vos rêves de grandeur que de voir un jour Stevie Wonder piloter un avion de chasse en survolant la Picardie. La Ligue des Champions ? Pas la peine d’y penser. Une star du foot en consultant ? Faudra se contenter de Patrick Montel, encore que certains considèrent Xavier Gravelaine comme un intellectuel du football. Le dernier concept d’Endemol ? Trop cher. Une super série américaine ? Tout a été cramé dans « Plus belle la vie »
II –Travaux pratiques : Comment construire une émission de service public ?
Fort de ce préambule, je vous propose maintenant d’enfiler votre blouse blanche pour passer aux travaux pratiques du jour. Nous allons concevoir ensemble un programme de service public destiné à être diffusé en prime-time. Première étape, encore plus importante que le concept de l’émission : le casting des invités.
Voici une suggestion non-exhaustive de bons clients, toujours disposés à poser leurs miches devant une caméra, bien souvent pour donner un signe de vie à leurs proches (et éviter ainsi la publication prématurée de leur nécrologie sur Wikipédia) ou pour essayer de gratter deux ou trois petits fours, à défaut de trouver un nouveau producteur capable de relancer leur carrière agonisante.
- Philippe Candeloro : Le bon client par excellence. Bonne patte, il sortira des vannes de cul à la pelle pendant la soirée, ce qui donnera un esprit franchouillard de bon aloi au plateau. Le présentateur pourra aussi, d’un air satisfait, glisser une ou deux allusions à sa pingrerie notoire, du type : « – Alors Philippe, c’est vrai que vous ne tirez la chasse qu’une fois par semaine ? – Non, je pisse direct dans l’évier, comme ça, ça lave la vaisselle en même temps ! ». Vous l’aurez bien compris, ce dernier se prêtera volontiers au jeu.
- Jean-Luc Lemoine : Moins cher et sélectif que Florence Foresti ou que Gad Elmaleh, moins has-been que Bigard, moins infréquentable que Dieudonné, moins mort que Coluche, Jean-Luc Lemoine est un humoriste « centriste » dit « de plateau ». Il sera peut-être l’auteur d’une ou deux répliques qui feront sourire l’assistance et qui permettront à la co-présentatrice d’enchaîner sur un « Ah ah ah ! Merci Jean-Luc ! Il est désormais temps de passer à la question SMS de ce soir qui peut vous permettre de gagner de beaux cadeaux avec notre partenaire. » Avec à la clé : une croisière sur la Marne avec Christian Morin à bord du Costa Manureva, une boîte de jeu de « Pyramide » (édition Deluxe, dédicacée par Pépita), l’encyclopédie des tailleurs de pierre dans l’Allemagne du milieu du XXe siècle ou un discman (lecteur de CD portatif, offert par les magasins GITEM). N’oublions pas que nous sommes sur le service public.
- Franck Dubosc : Il est en pleine promo pour Camping 3 : « la guerre des campings ». C’est un ami de la maison, il a commencé chez Ruquier. On ne se lasse pas de son numéro de playboy-loser. J’en ai d’ailleurs les larmes aux yeux en écrivant ces lignes.
- Titoff : Il n’est pas drôle. Tout le monde le sait, même lui-même certainement. Mais bon, Kad Mérad vous a planté et il faut bien le remplacer.
- Miss France : Comme d’hab, personne ne sait qui c’est ; c’est pour ça qu’elle arbore toujours son écharpe. Sa présence apportera une touche de mièvrerie à la soirée, surtout lorsque celle-ci commencera à parler de son engagement contre les mauvais traitements infligés aux enfants ou aux animaux : « Moi, je suis contre la violence, c’est mal et ça fait souffrir. C’est pour ça que je me bats en faveur des maltraitances faites aux petits chiens ». Au delà de ces propos de fond, qui ne manqueront pas d’attendrir la ménagère ménopausée (et de susciter des « ooohhhh » dans l’assistance, orchestrés par Michel, le chauffeur de salle), Philippe Candeloro tentera peut-être une approche, ce qui pourrait apporter un petit passage au Zapping le lendemain.
Reste à trouver un concept, un présentateur et un décor.
Pour le concept, pas besoin de se casser la tête : 2 solutions :
- Un jeu avec des questions débiles à choix multiples pour se foutre de la gueule des invités s’ils se plantent, entrecoupé d’une promo appuyée pour les films-spectacles-disques et autres merdes pondues par lesdits invités.
- Une émission de promo où les invités régurgitent sans conviction un discours savamment appris au sujet de leur prestation qui n’avait à l’origine pour vocation que de financer l’extension de leurs piscines d’ici à l’été prochain. Mais voilà, tout le monde est content, y compris l’animateur qui trouve là une occasion en or pour dilater son égo (en se mettant en scène et en distillant des flots de vannes lourdingues à deux roupies). On peut, le cas échéant donner davantage consistance à l’émission : un tour de magie, un sketch, des chroniqueurs, un défilé de chiens, des vidéos d’enfants qui tombent ou une prestation d’un chanteur que l’on espérait mort.
Pour le choix de l’animateur ; tout dépend du concept que vous aurez choisi, mais dans les deux cas, vous n’aurez aucun problème à dénicher un heureux gagnant. Il n’y a qu’à faire un petit tour au baby-foot de France Télévisions pour trouver une paire d’animateurs interchangeables qui ont de toute façons déjà enregistré toutes leurs émissions de jeu jusqu’à 2052. Si vous avez un peu plus de budget, direction la machine à café où vous retrouverez Nagui. Ou la chambre froide, où Drucker fait la sieste.
Pour les décors, on ne fera pas appel au carnet d’adresses d’un producteur hollywoodien. On récupèrera plutôt deux ou trois néons du studio de « Questions pour un Champion », quelques tables et chaises à la cantoche, et pour le reste, on fait appel à Fred et Jamy… Ces mecs là peuvent faire des miracles avec trois bouts de carton et un stick UHU : y a qu’à voir les maquettes qu’ils pondent dans « C’est pas sorcier » !