Encyclopédie des métiers à la con
Selon l’expression populaire, il n’y a pas de sot métier, il n’y a que de sottes gens. Foutaises. Il existe une palanquée de métiers à la con, auxquels nous sommes confrontés au quotidien, sans que nous en ayons pour autant conscience. Leurs titulaires auraient été mieux inspirés de ne pas traverser la rue le jour où ils ont signé leur contrat.
Alors que nous écrivions ces lignes, nous avons appris la sortie d’un livre intitulé Bullshit Jobs, qui doit vaguement traiter d’un sujet analogue. Notre objectif n’étant pas de soutenir le secteur du livre, nous allons laisser cet ouvrage de côté pour vous proposer notre sélection des pires jobs à la con. Toutefois, notre déontologie journalistique pourra nous amener à faire évoluer notre position sur le sujet dans le cas où l’éditeur serait ouvert à une subvention de cet article (promis, on dira que le livre est incroyable, même si on ne l’a pas lu).
Écrivain de rideaux et nappes cirées

Restons dans les belles-lettres et démarrons cette sélection avec un métier méconnu, réservé aux fumeurs de joints issus des filières littéraires qui n’ont pas trouvé leur bonheur sur ParcourStup. Ces jeunes idéalistes en sarouel, qui aspiraient à avoir des foules de lecteurs pendus à leur plume, se réveillent bien souvent frappés par le glaive de la déchiqueteuse des maisons d’édition. Car en réalité, il n’y a que Marc Lévy et Éric « scary » Zemmour qui parviennent à vendre des livres en France. Tout cela parce que deux gougnafiers ont joué un simulacre de débat chez Ruquier au sujet de leurs torchons respectifs, entre 2 éclats de rires stridents au point de faire imploser les sonotones de tous les pensionnaires d’EHPAD. Malheureusement, dans cette économie, ce n’est pas une parfaite maîtrise des enchainements de bolas ou une interprétation saisissante de Bohemian Rhapsody au djembé qui viendra sauver la tête (de beuh) de nos aspirants écrivains.
Cependant, cette armée de poètes en herbe(s) désoeuvrés est une manne pour GIFI. En effet, l’enseigne met à contribution la prose de ces derniers pour concevoir d’immondes nappes cirées destinées à habiller les tables défraichies du jardin familial. Entre des dessins dignes d’un enfant de 4 ans frappé par un Parkinson juvénile représentant des roseaux, des herbes sauvages et des oiseaux neurasthéniques, on distingue des extraits sirupeux :
D’un battement d’aile, le printemps se révèle. Une délicate odeur de jasmin berce le jardin. Dieu, que le temps passe, c’est déjà l’heure des tapas. A cela, je me dérobe, je suis hispanophobe.
Mais la toile cirée n’est pas leur seul vecteur de création. Leur talent peut tout autant s’exprimer sur des collections de rideaux de cuisine où s’entrecroisent des mots tels qu’assiette, déjeuner, miam, cuillère, table, sel, poivre, arsenic, moutarde, pain ou encore sur des emballages de viennoiseries dispensés en boulangeries.
Designer de tissus décoratifs pour les transports en commun

Hormis quelques fétichistes des miasmes en tous genres et autres quidams tourmentés en manque aigu de rapports humains, peu nombreux sont les amateurs de transports en commun. Et pour cause : entre une ambiance chaude et humide digne de la forêt équatoriale, une densité de population qui n’a rien à envier à Manille et des effluves tout droit sorties d’une fin de soirée en club à Pigalle, nos sens sont mis à rude épreuve. Malheureusement, le calvaire ne s’arrête pas là. L’aspect visuel n’est pas en reste, avec des associations de couleurs et de motifs plus qu’hasardeuses. Mais enfin, à quel moment quelqu’un a pu se dire : « Ah ouais… Ouais ! Qu’est-ce que c’est canon ce petit motif léopard tacheté avec du fuschia et du vert flashy sur fond marron, on a-dore ! On va en mettre partout dans les rames ! Vas-y Jean-Michel, c’est bon, tu peux imprimer. » ? Il faut d’urgence modifier les nuanciers en braille qui équipent les décorateurs chargés de concevoir l’intérieur de nos transports (car il ne fait aucun doute qu’ils sont aveugles). A moins que l’objectif de la RATP et de ses consoeurs ne soit de provoquer un maximum de crises d’épilepsie chez les passagers, de manière à pouvoir maquiller des retards inopportuns en « malaises voyageurs ».
Sound-designer : de l’ambianceur de laverie au créateur de jingles
Selon un récent sondage IFLOP, le passage à la laverie fait partie des moments les plus pénibles dans la vie ex-aequo avec le fait de suivre intégralement le discours de politique générale d’Edouard Balladur de 1993. Ce terrible rituel de lendemain de soirée ramène à une morne réalité éclairée d’une lumière crue au néon et incite inéluctablement à conclure à la vacuité de la vie. Pour ne pas accentuer ce mal-être, la plupart des laveries ont opté pour une certaine forme de neutralité qui se traduit par l’absence d’ambiance musicale. Mais toutes n’ont pas eu cette bienveillance, optant parfois pour des bandes-sons capables de vous plonger dans un bad-trip abyssal accompagné d’intenses convulsions, et ce même si vous avez eu la présence d’esprit de ne pas consommer de LSD avant de laver votre linge.
Pour résumer, l’ambianceur de laverie se trouve au bas de l’échelle des métiers du sound design, pourtant déjà réservés aux ratés qui étaient abonnés aux places du fond au Conservatoire. Par conséquent, ils s’exposent à des carrières moins glorieuses que leurs camarades qui composeront quelques unes des mélodies les plus dispensables de nos vies : de l’excellentissime jingle de la boule noire (n’est-ce pas) de Motus, aux sons de démarrage de Windows. De là à se demander si ces margoulins n’essayent de nous faire payer au quotidien leur frustration de ne pas avoir fait les arrangements du dernier album de Calogéro, il n’y a qu’un pas.
Metteur en scène d’images d’illustration dans les reportages de faits-divers
L’émission Faites entrer l’accusé a réhabilité un genre jadis honteux : le fait divers. Avec une nouvelle façon de raconter les histoires, à la manière d’un polar, il est redevenu fréquentable et se porte même très bien. On met le sang à toutes les sauces pour le plus grand bonheur de charognards toujours plus avides d’histoires de crimes sordides. Mais à mesure que le nombre d’émissions se multiplie, le traitement des sujets est revu au rabais tandis que le curseur du sensationnalisme est poussé toujours plus loin. C’est ce qu’on appelle la Loi de Morandini.
Ces économies de bouts de chandelles sont particulièrement perceptibles dans les saynètes de reconstitution. Elles sont devenues indissociables du genre et indispensables pour plonger le chaland dans l’histoire, avec une musique angoissante au violon sanglotant, des bruits de pas, des ralentis, des effets de clair-obscur, des draps tâchés avec du ketchup… Mais leur exécution laisse en général clairement à désirer : on est plus proche de TATI que de Jacques Tati. Forcément, lorsqu’on essaye de reconstituer un interrogatoire à la va-vite dans un coin sombre de l’open-space avec le chef de la cantine qui joue l’accusé, il y a un risque de perdre en crédibilité à l’écran. Bref, difficile d’être metteur en scène quand on vous donne une agrafeuse, un chapeau et une Twingo pour tourner une reconstitution de l’affaire Mesrine. Pas étonnant dans ces conditions qu’une scène au parloir de Fleury-Mérogis finisse par ressembler davantage à un extrait de Plus belle la vie.
Concepteur de packaging
Spoil : le prochain paragraphe contient un passage sensible pour les émétophobes
Nous ne ciblons pas ici les packagings alimentaires et leurs fameuses « suggestions de présentation » bien souvent aux antipodes de la réalité. Car faire ressembler un plat préparé, proche en termes d’apparence d’une galette de vomi séchée, à un met comestible voire appétissant relève d’une prouesse technique. Bien qu’il s’agisse d’une tromperie manifeste à grande échelle.
Nous nous intéressons plutôt aux packagings d’objets du quotidien. Que ce soient les emballages de mouchoirs, d’aliments pour animaux ou encore de désodorisants [dont vous avez relu les conseils d’utilisation 250 fois au point de connaître par coeur l’adresse du service clients, faute d’avoir une lecture convenable sous la main aux toilettes], il y a des graphistes derrière qui ont « imaginé » ces motifs d’un goût discutable. Quels est leur projet ? Quels sont leurs réseaux ? Pourquoi tant de violence ?

Publicitaire
Les publicitaires sont une plaie de la pire espèce car ils pourrissent la vie de leurs contemporains dans leurs rares moments de détente. Pharaon aurait d’ailleurs voulu en faire la onzième plaie d’Egypte, mais cela n’a finalement pas abouti pour une raison que j’ignore. Il faut dire qu’après 20 minutes de pubs pour Flunch et Bricorama avant le début d’un film au ciné, toute la salle est proche du nervous breakdown… De la même manière, avant de pouvoir profiter d’un moment désopilant devant le replay des 12 coups de midi ou de se déhancher fougueusement sur le dernier Vincent Delerm qui passe à la radio, il faut s’armer de patience. Les réjouissances sont précédées par le passage du bourreau publicité, venu faire ingurgiter à l’audience la promo sur le Brie de Meaux chez E. Leclerc (du moins, si l’on comprend la diction du comédien) et administrer le supplice des spots neurotoxiques. Vous savez, ces pubs parfois chantées, qui restent en tête toute la journée : « Chez TATI t’as tout », « Les ormes de Cambras », « Citya envie d’un appart, va chez Citya » pour n’en citer que quelques unes… Après un tel acharnement, il y aurait de quoi envisager de se faire hara-kiri-Kiri.

Si vous travaillez dans le milieu de la pub, vous n’avez pas pu échapper à une interrogation de la part de votre entourage : « Alors, c’est vraiment comme dans 99 Francs ? ». Question à laquelle vous avez répondu par l’affirmative. Car vous préférez que vos proches vous voient comme un cocaïnomane pédant et cynique sappé comme un ado et qui fait de la trottinette dans les bureaux que de leur révéler la terrible réalité de votre quotidien. Celle où vous brainstormez pendant des heures pour trouver ASAP un nouveau naming pour le salon de coiffure du coin, avec pour seul remontant votre tube de Juvamine. « Alors, notre reco, ce serait HAIR DU TEMPS, parce qu’on est des gens créa’TIFS ! [rires gênés] Pour être straight-to-the-point, HAIR, cheveux en anglais, donne un petit côté disruptif à l’enseigne par rapport à la concurrence de Chez Monique. Mais on garde quand même un ancrage local avec la fin du naming par l’utilisation du français. To sum up, on fait du glocal en mode win-win. Merci, ça fera 150 000 euros. » Remarque, c’est toujours plus facile à assumer que d’avoir bossé sur des films publicitaires pour MMA ou pire sur une pub sexiste pour GIFI. Enfin bon, les clichés misogynes et la pub, c’est une longue histoire.
Bref, il est évident que vous préférez que vos proches vous imaginent dans un univers à la Mad Men plutôt qu’ils vous sachent coupable de paroles à la gloire de Castorama (« brico, déco, bâti, jardin »), chantées sur un air de Patrick Juvet. Mais ils finiront un jour par découvrir la supercherie.