Conte de la forêt ordinaire

Il était une fois la forêt de Piccolo, un bois peuplé de nombreux animaux. La communauté s’agitait, tandis qu’approchait à grands pas l’élection du nouveau président du conseil d’administration de la forêt. Ce n’étaient pas les prétendants au trône de lierre qui manquaient.

A commencer par l’écureuil rabat-joie, François Félon qui se plaignait du fait que les caisses de noisettes soient vides tandis qu’il se faisait dorer la queue à l’or fin par son tailleur, Dromadaire Bourgi. Intrigué par l’éclat de son panache, Edwy le kiwi flaira la bonne piste, et se dirigea vers la tanière du sciuridé afin de satisfaire sa curiosité. Il tomba alors nez à nez avec Pénélope la marmotte qui dormait sur le perron, affalée sur un matelas de glands à mocassins. « Voilà un cas d’assistante forestière, payée à ne rien faire ! », se dit Edwy, qui s’empressa de diffuser la nouvelle. Le vent de la discorde se mit alors à souffler sur la forêt. Après l’éviction du félon, toute la ménagerie se tirait la bourre pour régner sur Piccolo.

Le vieux phacochère borgne accusa tout d’abord les gnous, pourtant arrivés de longue date, de semer le trouble et de voler les pommes de pin des honnêtes marcassins. Se défendant d’attiser la haine, il précisa : « Je ne suis pas raciste, je mange les couscous, n’est-ce pas ! ». L’âne Nicolas Ducon-Gnangnan, par l’odeur du populisme alléché, lui tint à peu près ce langage : « Si votre filoutage se poursuit jusqu’à l’outrage, je serais ravi de me joindre à votre attelage ». Cette parade grossière fut brusquement interrompue d’un coup de corne par Jean-Luc le mouflon, venu crier haro sur le baudet. « La tête de bique, c’est moi ! », s’exclama t-il. Malgré cette fake news manifeste, le leader de la Frondaison Insoumise attira à lui les chèvres et les moutons.

Soudain, s’avança à l’orée du bois, un jeune lapin aux dents longues. Il s’exclama : « Je veux que la forêt soit une start-up plantation ! Parce que c’est notre forêêêt !
—  Qui es-tu étranger ? J’ignorais qu’il y avait une section « En Marche » chez les lapins. Tu es un sbire d’Emmanuel Macron ? lui demanda Jean-Luc le mouflon, d’un ton autoritaire  
—  On parle d’Emmanuel Makrout ? Je mangerais bien tunisien ce midi ! questionna alors le renard Larcher à l’appétit aiguisé 
—  Je suis Pimpin, le lapin marcheur. Et voici mon fidèle serviteur, la taupe Castagnette ! répondit le lapin d’un air suffisant  
—  C’est de la poudre de perlim, Pimpin ! rétorqua le chamois Hamon  
—   Ah ouais, il y a de la poudre ? interrogea le tamanoir en noir qui disparut aussitôt sans laisser de trace  
—   Recentrons le débat s’il vous-plaît ! Écoutons Pimpin et Castagnette ! Tous les autres foutez le camp sur La Chaîne Forrestière si vous avez quelque chose à dire ! s’écria alors Léa Salamandre 
—   Parfaitement. La moutarde me monte au nez, Léa Salamandre ! s’enflamma Pimpin, plus jupitérien que jamais
 —   J’ai entendu Léa Salami ? Oh oui, je veux du salami aussi ! cria le renard Larcher en se léchant les babines » 

Pimpin avait fait mouche et tous les médias de la forêt n’avaient d’yeux que pour lui. Il avait même pris dans ses filets Nicolas Bulot qui finira par avaler sa coquille. Seuls les castors semblaient désormais pouvoir lui faire barrage, mais ils étaient trop occupés à débattre sur une question de fond : « Hêtre ou ne pas être ».

Hélas, par tant d’agitation, les habitants de la forêt réveillèrent le vieil ours éméché et mal léché. Son museau biscornu lui valait le surnom de Cyrano. Un Cyrano aviné au Bergerac.

«  Qui ose troubler ma quiétude ? demanda l’ours de sa voix rauque 
—  Tu n’es qu’un grizzli réfractaire ! Si tu traversais la forêt tu trouverais du travail ! répondit Pimpin, tel un roquet
—  Touche pas au grizzli, répondit Pénélope qui se réveillait d’une longue sieste 
—  Mais taaiiseez-vous ! éructa Finkiel-crotale » 

Ivre de colère et de génépi, l’ours enfila son gibier jaune, avant d’entonner un chant basque des heures durant. Déjà étourdis par les vapeurs d’alcool, les animaux de la forêt finirent par tomber d’épuisement les uns après les autres. Cyrano les embarqua alors à bord de sa charrette, en direction de la ville, après une dernière petite lichette (d’après lui, tous les chemins mènent au rhum). Puis il abandonna son chargement devant la porte dérobée d’une petite échoppe. Enfin, il urina dans la ruelle enchantée avant de reprendre guilleret son petit bonhomme de chemin pour rentrer dans la forêt.

Contrairement à ce que pensait Pimpin, l’ours Cyrano avait bien l’habitude de traverser la forêt. Et il avait un travail… de livreur chez Naturalia. C’est ainsi que tout son voisinage fut transformé en steak de tofu*, au grand dam d’Aymeric Caribou.

*Oui amis vegans, le tofu c’est bien fabriqué avec des animaux morts. Bande de monstres.

Fais pas ta morue, partage !

Jean-Jacques Gourdin

Je suis le maton de la station, prends garde à mes coups de bâton. Viens dans le poste, je vais te faire des bosses.