Clippy, le trombone de Microsoft : l’interview sans concession

[Morue89] : Bonjour Clippy. Il y a 20 ans, vous étiez une véritable star, présente sur tous les écrans. Vous avez été propulsé par Microsoft comme assistant par défaut de sa suite Office, alors que vous sortiez tout juste d’une usine métallurgique de Redmond. Comment avez-vous vécu ce succès soudain ?
[Clippy] :J’avoue qu’au début c’était génial. Tout le monde se retournait à mon passage, j’étais invité partout. Tu ne réalises pas vraiment ce qu’il t’arrive quand tu passes en l’espace de quelques mois d’une manufacture lugubre, au bureau de Bill Clinton. Faut dire qu’il savait comment s’y prendre pour faire coulisser le trombone ce bon vieux Bill (rires).

[M89] : Mais le vent a vite tourné… On vous a notamment reproché de donner des conseils qui n’étaient pas toujours très judicieux, et même quelques fois d’être un peu envahissant… Vous auriez notamment forcé plusieurs étudiants à rédiger leurs thèses intégralement en WordArt et des professeurs à écrire leurs cours en Comic Sans MS… Vous auriez également forcé Marc Lévy à écrire des romans. 
[C] : Il faut prendre ça comme une blague… Je le faisais pour amuser et au final, ça s’est retourné contre moi. Cela dit, il est vrai que j’ai parfois eu la main un peu lourde sur les WordArt, mais je prenais beaucoup de LSD à l’époque et j’avoue que j’étais assez sensible aux jeux de formes et de couleurs. La plus grosse erreur que je reconnais concerne Marc Lévy. Je ne pensais vraiment pas qu’il prendrait cette histoire de roman au sérieux, il n’a aucun talent. Aujourd’hui, les étagères des librairies croulent sous le poids de ses bouquins et je ne peux pas m’empêcher de me sentir responsable. Je suis à l’origine d’un monstre.

[M89] : Mais il n’y a pas eu que ça… Plusieurs utilisateurs se sont plaint de propos pour le moins déplacés de votre part, voire insultants… Vous auriez conseillé à un ado de sauter par la fenêtre et dit à une quadragénaire de se « placer la souris là où je pense ». Bilan : 15 points de suture et un procès avec la SPA. Qu’avez-vous à répondre ?
[C] : Mes propos ont été mal interprétés. J’ai parlé de « sauter la fenêtre » pas de « sauter PAR la fenêtre ». Nuance. Ça voulait juste dire qu’il fallait fermer la fenêtre en cliquant sur « Annuler », sinon Windows risquait d’attraper froid et d’afficher un bon vieux « Blue screen of death ». C’est pas de ma faute si ce connard d’ado écoutait Evanescence en boucle et a tout pris au pied de la lettre. Sinon, pour la vieille, je voulais juste lui dire de placer la souris sur son socle de recharge. C’était ça l’endroit auquel je pensais. Elle a préféré outrager maître Splinter, mais je ne juge pas.

[M89] : Donc finalement, vous n’acceptez aucune des critiques qui vous ont valu un licenciement ?
[C] : Je faisais de mon mieux pour aider les utilisateurs, mais ce n’était pas toujours évident. Il faut dire que j’étais très sollicité entre mes journées de travail et des soirées bien remplies… Difficile de garder l’épingle sur terre. Il est possible que j’aie pu répondre de temps à autres à côté de la plaque. Mais c’était très rare je crois. Heureusement les amis étaient là pour me soutenir. Je pense notamment à Benoît Magimel.

[M89] : Une amitié qui a laissé des traces ?
[C] : Qu’est-ce que vous sous-entendez par là ?

[M89] : Non rien. Mais une image de fêtard invétéré vous colle à l’acier, bien plus qu’un stick UHU au nez d’un collégien. Il n’y avait qu’à regarder vos yeux.
[C] : Le train de votre mépris glisse sur les rails de mon indifférence. C’est toujours plus facile de voir la paille dans le nez de son voisin que la poutre dans le sien. Il est vrai qu’il m’est arrivé quelques fois de boire un verre ou deux de Suze en trop. Mais que celui à qui ça n’est jamais arrivé me jette la première bière. Je connais mes limites. Cointreau n’en faut.

[M89] : Pourtant, en 2003, Microsoft décide de vous mettre au placard (à fournitures).
[C] : Ca a été très difficile. On a essayé de mettre ça sur le dos de mes addictions et tout cela a été monté en épingle. En réalité, nous avons été plusieurs à avoir été virés sans ménagement en vertu d’une quête de modernisme… Demandez au masque PowerPoint Crayola. Tout ça pour que les équipes pondent quelques mois plus tard une sombre bouse nommée Windows Vista. Mais bon, ça, personne ne s’en offusque. J’ai bien essayé de solliciter la CGT Papeterie pour alerter sur la situation, mais ils préféraient faire griller des merguez pour le 1er mai. Mon seul défaut a été d’avoir été en avance sur mon temps. Quand je vois aujourd’hui les chatbots ou les assistants vocaux comme Siri ou Cortana qui font répéter 15 fois la question avant de répondre « Désolé, je ne suis pas sûr de comprendre » ou pire, à côté de la plaque, je me dis que je faisais très bien le job !

[M89] : Peut t-on également revenir sur votre brève carrière dans le porno ?
[C] : J’étais ruiné et j’ai un peu cédé à la facilité. J’ai tourné dans un film qui mettait en scène une partouze de fournitures de bureau : trombones, punaises, agrafes et autres post-it. Le film s’appelait « Punaises de lit, trombones en folie ». Ce fut la pire expérience de ma vie.

[M89] : Aujourd’hui, c’est quoi votre vie ?
[C] : Je vis essentiellement des animations commerciales. Je termine tout juste un tour de France des magasins Office Dépôt pour une promo sur les carnets à spirale. Il faut avouer que la période de la rentrée est particulièrement éprouvante. Hier, je ramais, aujourd’hui, je vends des ramettes. C’est marrant, sur la route, je croise pas mal de camarades. Et finalement, dans mon malheur, j’ai eu un peu plus de chance que certains collègues qui ont fini au rayon des aliments pour chiens chez Carrefour. C’est triste de se retrouver à chanter « J’ai perdu la tête depuis que j’ai goûté ces croquettes » au milieu d’une valse de caddies. Un peu terne comme fin de carrière quand on s’appelle Dany Brillant (rires). 

Fais pas ta morue, partage !

Jean-Jacques Gourdin

Je suis le maton de la station, prends garde à mes coups de bâton. Viens dans le poste, je vais te faire des bosses.