La Poste : pourquoi le facteur ne sonne jamais 2 fois ?
Existe t-il pire sentiment que d’ouvrir sa boîte aux lettres et d’y trouver un avis de passage du facteur ? Assurément non. D’autant plus quand vous avez été présent à votre domicile toute la journée et que ce fumier n’a même pas daigné sonner alors que vous aviez posé une semaine de congés pour réceptionner le colis en question, faute d’avoir une visibilité plus précise sur le créneau de livraison. Bien sûr, il n’est pas question d’un quelconque dysfonctionnement de la sonnette : elle retentit très distinctement le dimanche à 7h54 du matin lorsqu’il s’agit de venir vous vendre l’horrible Almanach postal rempli de clichés surannés de chatons.
Ça passe (mal), comme une lettre à La Poste
Mais il y a une défi encore plus périlleux que de réceptionner un colis : en expédier un. Si bien que si La Poste avait existé au temps de la Grèce antique, il est fort à parier que le téméraire Hercule aurait dû se frotter à une insurmontable épreuve au guichet n°2. Et qu’il y serait mort de vieillesse, avant de pouvoir effectuer ses 11 autres travaux.

Il est 9h16. Muni de votre paquet, vous vous dirigez le coeur lourd et l’oeil humide vers La Poste la plus proche. Dans 34 minutes, vous aurez rendez-vous avec votre destin : ce sera l’ouverture du bureau. Arrivé devant l’entrée, vous comprenez qu’il vous faut encore poursuivre votre chemin sur 500 mètres pour prendre place dans la file. Soudain, à 10h17, le rideau métallique s’ébranle enfin. C’est la liesse du côté du 3ème âge venu en masse retirer ses liasses ou simplement chercher un peu de compagnie après le générique de fin de Téléshopping.
C’est alors que les minutes commencent à s’égrainer lentement, entamant peu à peu votre capital patience malgré la préparation mentale que vous aviez entreprise depuis la veille. Vous expérimentez alors le « syndrome postal » qui veut que le temps de passage des clients qui vous précédent sera en moyenne 10 fois supérieur au vôtre. Ainsi, vos prédécesseurs se présentent tour à tour au guichet pour commander des planches de timbres rares sous scellés, affranchir un colis frigorifique à destination de l’Antarctique, demander une présentation intégrale de la gamme de boîtes d’expédition Colissimo, ou simplement retirer un recommandé qui demeure introuvable dans l’arrière-boutique…
Cet homme était imberbe lorsqu’il a commencé la queue.
Faut dire que c’est la barbe d’attendre aussi longtemps…
Une fois venu votre tour, le guichetier disparaît pendant une dizaine de minutes, s’engouffrant derrière la fameuse porte située à l’arrière du guichet. Qui sait quel monde se cache derrière ? Un spa ? Un grand-huit ? Un championnat du monde de jokari ? Toujours est-il que votre guichetier en ressort hilare, lançant un petit “T’es con Christian !” en refermant la porte avant de redevenir mutique lorsqu’il daigne enfin se positionner face à vous. La mine grave, vous lui tendez votre colis déjà affranchi par la magie d’un site Internet exceptionnellement fonctionnel. Au bout de quelques secondes, le couperet est sans appel. Après un rapide scan du code barre, les sourcils froncés et sans lever les yeux de son écran (probablement éteint), le postier vous lance : “votre étiquette de transport, elle marche pas ! Allez à la machine sur le côté où 10 personnes attendent, vous en éditez une nouvelle, puis vous refaites la queue ici au guichet pour déposer votre paquet. SUIIIIIVAAAANT !”.
Une vision toute particulière du gain de temps grâce à la technologie qui éclaire sous un jour nouveau ce slogan : « Ce que l’avenir vous promet, La Poste vous l’apporte ». On ne sait pas tellement de quel avenir sinistre il s’agit, mais ce n’est pas dit que La Poste en rapporte grand chose en tous cas tant elle peine déjà à livrer des envois vieux de 72 heures.
Revenons-en à notre guichet. On pourrait croire l’organisation chaotique ou le postier peu amène. En réalité, il s’agit de procédures réglées au millimètre : les préposés sont équipés de la grille ci-dessous pour répondre à leur clients. Ils lancent un dé, et en fonction du score obtenu, délivrent le script correspondant.
12h54. Après 3 nouveaux essais, c’est la délivrance, vous allez pouvoir retrouver vos proches inquiets qui guettaient fébrilement votre retour. Vous avez traversé une épreuve difficile, classée en quatrième position sur l’échelle de Richter de la pénibilité après l’écoute d’un disque de Christophe Maé, le rendez-vous chez un gastro-entérologue et une séance shopping chez Nature & Découvertes.

mais n’hésitez pas à retenter votre chance demain !
Heureusement pour vous, vous avez réussi à expédier votre colis de justesse 6 minutes avant la fermeture du bureau. Car les horaires d’ouverture des bureaux s’amenuisent à vue d’oeil, passant même parfois sous le seuil critique des 3 heures d’ouverture quotidienne de la CAF. De quoi mieux comprendre cet autre slogan : « La confiance donne de l’avance » ; le niveau de confiance en cette entreprise impliquant en effet de prendre beaucoup d’avance pour espérer un service convenable.
Enfin, ces déboires pourraient bientôt faire partie du passé avec l’accélération de la fermeture des bureaux, remplacés par des « Relais La Poste » généralement positionnés dans le coin PMU du bar-tabac de la communauté de communes.
Des facteurs multi-tâches qui font tâche
Cette nouvelle place du service postal, juste à côté des urinoirs, est assez symptomatique de l’érosion du service public. L’État paiera. Sauf pour les institutions publiques. Sous prétexte d’une activité courrier en baisse (qu’on oublie généralement de mettre en parallèle avec la nette croissance de l’activité colis), La Poste rivalise d’inventivité pour diversifier ses sources de revenus.
Ainsi, à mesure que les bureaux de Poste ferment, la fiche de poste des facteurs s’allonge. On ne compte donc plus les préposés qui font office d’assistants à domicile pour les personnes âgées, sortent les poubelles, effectuent des diagnostics énergétiques, aident à l’installation de matériel informatique, font les courses ou prennent des photos de constat pour le compte des compagnies d’assurance. Il a même été envisagé de demander aux facteurs de faire du « pet-sitting » ou de promener l’insupportable teckel à poil sale de votre grande tante. Bientôt, on n’hésitera plus à se plaindre au receveur si cet ingrat de facteur refusait d’évacuer un nid de frelons asiatiques ou qu’il partait sans faire la vaisselle. Même Ryanair n’a pas osé demandé autant de polyvalence à ses salariés… pour le moment.
Pour autant, malgré ces évolutions probablement dans l’air du temps, on s’étonne du fait que d’autres missions, peut-être trop conventionnelles, n’aient pas été attribuées aux facteurs comme la ringarde distribution du courrier ou la livraison effective des colis en complément du simple dépôt d’avis de passage.
Faire correctement son métier ou en faire mal plusieurs ?
Mais il n’y a pas qu’aux facteurs qu’on demande d’être multi-tâches. Les nouveaux bureaux de Poste n’ont plus rien à envier aux Puces de Saint-Ouen : on y trouve presque tout, sauf ce dont on a besoin. Si bien qu’on y distingue difficilement un guichet tant l’espace est encombré d’îlots commerciaux en tous genres, de box Internet, de smartphones, d’emballages et d’affiches promotionnelles criardes. Les fonctions postales sont elles reléguées en périphérie vers des automates tout sauf autonomes, dont on peine à comprendre la fonction spécifique de chacun. Dès lors, l’ouverture d’un stand fromagerie ou d’un cordonnier au milieu d’un tel bric-à-brac n’aurait plus rien d’inenvisageable.
La Poste est notamment devenue une banque (qui semble d’ailleurs devenue l’activité principale) mais aussi un opérateur téléphonique et un acteur hi-tech de premier plan grâce au lancement d’une tablette pour séniors astucieusement baptisée Ardoiz (un nom qui n’est pas sans rappeler les grandes heures des Internets avec Wanadoo et Amaguiz). Mais ce n’est pas tout, puisque La Poste a également lancé une solution de caisse enregistreuse connectée… pour des commerçants qui n’ont rien contre le fait de partager quelques données sensibles.
Devant tant de polyvalence, le site Internet de l’opérateur postal se devait également d’évoluer, en se lançant dans la vente de fournitures de bureau, de matériel informatique, de coffrets cadeaux pour 1h de « balade en gyropode à Reims » ou encore… de biscuits apéritifs. Tant pis si les services de base sont victimes de dysfonctionnement et qu’il faut mener bataille avec le service client pour mettre en place une redirection de son courrier (un exemple au hasard…).
Difficile de suivre la logique de l’entreprise, qui semble vouloir faire feu de tout bois en utilisant vraisemblablement du jus d’oranges comme combustible. Même un étudiant en première année à la Charleville-Mezières Business School n’aurait pas songé à recommander de telles pistes d’évolution dans le cadre d’une étude de cas à l’issue d’une soirée bien arrosée. Tel le cancre se rêvant astrophysicien, il est possible que La Poste se soit égarée en chemin. NPAI.