Guide de survie à la vie parisienne

Malgré vos réticences, vous vous êtes résolu à rejoindre la capitale pour des raisons professionnelles. Car à Compiègne, quand on traverse la rue, on trouve un Gémo, mais pas de boulot. Avant d’arpenter les axes hausmanniens et afin de vous épargner de regrettables déconvenues, voici quelques conseils pour appréhender au mieux votre installation dans la ville lumière, à l’heure des ampoules basse consommation.

Apprenez à compter parisien

Paris dispose d’unités de mesure spatio-temporelles et monétaires qui lui sont propres. Ainsi, ne soyez pas surpris que l’on vous demande 12 euros et 20 centimètres de moelle épinière pour profiter d’un café froid en terrasse, servi par un intermittent renfrogné car il n’a pas atteint son quota d’heures, tandis que vous êtes assis sur les genoux de votre voisin, faute de place. Rien d’extravagant non plus à louer 700€/mois un clapier défraichi pour lequel 6 générations de garants ont du se porter caution. Enfin, il ne faudra pas s’émouvoir de patienter près de 10 minutes à attendre un métro direction Porte de Clignancourt qui est annoncé (en clignotant) dans « 3 minutes » depuis votre arrivée sur le quai. C’est tout simplement ce que les scientifiques ont appelé le « coefficient du tabouret retourné parisien ».

« – Hey Jamy, pourquoi on se fait toujours enfler à Paris ?
– Eh bien, c’est très simple, c’est une histoire de coeffistcient »

MODE DE CALCUL DU « COEFFICIENT DU TABOURET RETOURNÉ PARISIEN » :

1 pain au chocolat à 1€ dans le reste de la France = 1 pain au chocolat à 3€ à Paris 

3 m2 dans la reste de la France = 1 m2 à Paris


3 minutes = 1 minute RATP


90 km/h dans le reste de la France
= 30 km/h sur le périph
= « périph fluide »
 

Évitez de vous faire démasquer par les autochtones

Le parisien est un être au comportement territorial. Son aire de jeu, nommée « intra-murros » par les ethnologues, est délimitée par le périphérique, ce qui explique les relents de miction qui émanent de ses portes. Toutes les zones situées en dehors de ce périmètre sont inconnues et perçues comme hostiles par cette espèce (sauf Montreuil, désignée comme « Le nouveau Brooklyn » par Les Inrocks il y a 10 ans, à l’époque où le magazine adoptait la technique VGE pour tenter de dissimuler sa calvitie éditoriale).

Ainsi, il est primordial que vos futurs collègues ne vous perçoivent pas comme un francilien ou pire encore, un provincial. Pour cela, surveillez votre langage et évitez de dire par exemple : « Ce soir, après le boulot, je vais faire un tour en ville pour trouver le cadeau d’anniversaire de mamie ». Préférez plutôt : « Ce soir, je vais à une dégustation de vins biodynamiques dans un ancien squat transformé en hôtel particulier vers Jules Joffrin. Il y a des DJ sets, un stand de tatouages au henné et un food truck qui fait des kebab fusion au topinambour ».

Devenez une merde humaine auto-centrée

Un autre point important concerne la manière d’appréhender les relations avec vos pairs. En dessous d’un fort degré éthylique, le thermostat de votre sociabilité doit rester semblable à celui du congélateur de Véronique Courjault, c’est à dire glacial. Ce réglage s’obtient néanmoins sans trop d’efforts, au point de devenir une seconde nature. Difficile en effet de ne pas se raidir en phase de réveil face à un congénère qui massacre « Le temps des fleurs » à l’accordéon avec un entrain déconcertant tandis que vous êtes bloqué entre 2 stations pour « régulation » dans une rame bondée, aux effluves entremêlées de whisky et de skaï. Au bout de quelques semaines, vous devriez parfaitement feindre de ne pas voir, ni d’entendre les mendiants de la 12 [NDLR : donnez-do-do-donnez-moi].

« Désolé, j’ai pas de monnaie. Mais on est bien à Invalides ? »

Dès lors que vous prendrez du plaisir à écouter les albums de Saez voire à lui trouver du talent, vous saurez que vous tenez le bon bout. Vous vous considérerez alors comme un être supérieur à tous ces ploucs conformistes qui se délectent de patauger dans la boue sans rien comprendre au sens de la vie. Aussi, vous estimerez que tout est dénué d’intérêt, sauf ce que les gens sensés tiennent en horreur : le Formica, les trottinettes, les méduses, Eddy de Pretto… 

Adoptez une alimentation snob et insipide

L’expression populaire veut qu’on ne fasse pas d’omelette, sans casser des oeufs. C’était sans compter l’apparition de l’omelette au tofu. Le « parigot, tête de veau » a fait son temps : le plat fétiche de Jacques Chirac n’a plus droit de cité sur les tables parisiennes. Désormais, ce sont plutôt les cantines bio hors de prix qui tiennent le haut du pavé (de soja). Il faudra donc composer votre salade avec.

Pour faire mouche au sein de la parisianosphère, n’hésitez pas à partager sur les réseaux le dernier « bowl » en vogue : « Duo de quinoa émulsionné au coleslaw, sur lit de graines pour oiseaux et de pousses de tofu ».  Même si cela s’apparente davantage en bouche à un carton de déménagement mouillé qu’à un plat comestible, vous éveillerez l’intérêt de vos collègues frustrés de s’être fait racler le fond du porte-monnaie chez COJEAN comme tous les midis.

Enfin, pour parfaire votre Insta-credibility, n’hésitez pas à vous mettre en scène tandis que vous faites la queue pendant près de 8h30 pour tester le dernier spot éphémère en vue : « un lieu-concept hybride entre food, street art et atelier de maréchal-ferrant », dixit une armée d’influencés dithyrambique. Même si au fond de vous, vous resterez amer d’avoir fait tout ça pour siroter une bière insipide dans un décor constitué de mobilier de récup que vous vous étiez juré de ne plus voir après avoir quitté le système scolaire.

Fais pas ta morue, partage !

Jean-Jacques Gourdin

Je suis le maton de la station, prends garde à mes coups de bâton. Viens dans le poste, je vais te faire des bosses.